Mal barré, le rock
français. Des groupes incapables de concevoir leur entreprise
avec une envergure, incapables de se penser en dehors de leur
minuscule hexagone, soucieux de la moindre chronique,
désespérés au point de manquer totalement de classe
Par
exemple, le mois dernier, dans une rubrique, jai écrit que
le souple de Marquis de Sade, tel quel, sans pochette ni rien, me
semblait vaguement rébarbatif
Aussitôt, coups de
téléphone en pagaille, semonces gentilles, menaces doucereuses,
regrets affligés
On me fait comprendre, gentiment mais
fermement tout de même, que si je naime pas ça je serais
bien méchant den décourager les autres, etc
MERDE.
Heureusement, la rédaction de ce journal nous laisse encore libres de vomir sur ce que nous haïssons (je vais y venir, je trouve ça finalement très intéressant, Marquis de Sade). Mais vous tous, les gens autour, les brasseurs de néant, pourquoi vous ne retournez organiser des tournées ou discuter promo avec les programmateurs de radio ? Vous vous rendez compte de lénergie que vous perdez ? De la fragilité avouée de vos groupes, pour que vous les installiez dans ce coton ? Ils vont senrhumer à la première sortie, vous savez
« Dantzig Twist », cest avant tout une histoire de LOOK, un vertige de mots (inconsciemment murmurés en français, en anglais ou en allemand). Cest tout cela et plus : un disque carnassier que lon dirait bâti autour des fameux articles dYves Adrien. Il est ici question, au-delà de la musique, de « maladies de peau » comme « despions japonais ». On imagine très bien en Marquis de Sade un groupe de provinciaux complètement isolés dans une ville même pas hostile, indifférente, et souvrant consciemment et délibérément les veines, jour après jour, mois après mois devant des miroirs. Car Marquis de Sade existe depuis aussi longtemps quun Starshooter, mine de rien. Mais si les uns ont choisi lexplosion instantanée, la démarche fulgurante, les Sade (tout comme Extraballe, autre groupe noir qui sort ce mois-ci) ont choisi une lente approche du futur, mettant froidement tous les as dans leur jeu.
Et les jokers aussi bien. Full au roi. Trépanation totale : pour la première fois depuis toujours, voici un disque français, suivez-moi bien, qui existe en tant que tel mais qui est également absolument exportable vers le reste du monde. Image ? Comme Little Bob Story, les Marquis de Sade sont un groupe côtier, plus proches à la limite de lAngleterre que de Paris
Musique ? Elle
est parfaite. Deux façons den parler. Soit en mettant
laccent sur les individus, donc sur le chanteur, Philippe
Pascal, puis sur le guitariste Frank Darcel (joli nom aux
résonances très « Berlin 45 »). Ou alors, le plus simplement
du monde, en la montrant comme un tout. Marquis de Sade est un
groupe rigoureux. La section rythmique est impeccable. Et ce qui
frappe par dessus-tout, cest la cohésion de ces cinq
jeunes gens modernes, que lon devine soudés comme
personne. Parce quils ne rêvent pas de gloire, ni de
nanas, ni de pognon. Marquis de Sade est un groupe qui
qui
qui a quelque chose à DIRE !
(Vous notez bien que je fais des espoirs désespérés pour ne
pas prononcer le mot « art » ici !) Marquis de Sade transcende
tout, cite Baader et Klimt (références dangereuses, et dont
tous leurs concurrents seraient bien incapables et saffirme
comme un groupe
dangereux. A ne pas fréquenter sous tout
prétexte. Pour fans du Velvet, de Roxy Music, de David Bowie, ce
sera la transition vers le futur. Pour tous les autres,
cest encore plus que ça. Marquis de Sade est un groupe
européen. Le dernier ou le premier, à vous den décider.
Philippe Manoeuvre.
Copyright : Rock'n'Folk, 1980