A la recherche du ton perdu
Marquis de Sade puis Marc Seberg ; la connexion semble constante. Il était une fois des jeunes gens " arrogants mais désespérés" pour qui l'instant présent était déjà perdu, froid, comme cloisonné. Aujourd'hui, Philippe et Pascale nous reviennent avec un album chaloupé, sensuel, presque tendre avec ses rencontres fugitives mais intenses ; comme si les lisières et les heures incertaines, étaient des moments privilégiés, prétextes à une jouissance qui perdure tout en se sachant précaire.
Le premier adjectif
venant à l'esprit est celui de "cosmopolite" au niveau
de la musique avec une constante quand on aborde les thèmes ; le
caractère éphémère, l'errance etc...
Pascale : Musicalement, nous avons des envies plurielles ; nous
les possédons en toile de fond et nous avons voulu les faire
resurgir à nouveau. Nous pouvions donc tout nous perrrrettre,
laisser monter nos influences ; composer dans une démarche
"touche-à-tout". Cela vient de ce que nous avons
vécu. de nos voyages et de tout ce que nous avons ingurgité,
c'est donc d'une part la résurgence de tout ça, et d'autre
part, le résultat de tout ce que nous écoutons depuis des
années. Nous nous sommes créés des envies que nous pouvions
enfin concrétiser.
Est-ce une rupture ou un
cheminement disons beaucoup plus fluide ?
Pa : On ne peut pas dire que nous ayons décidé quelque chose,
à part arrêter le groupe. Je crois que nous avons plutôt
ouvert nos portes. Avec Marc Seberg, on était cinq et on avait
une certaine ligne de conduite musicale et tout le monde s'y
fondait. Là, nous nous devions de nous ouvrir, d'aller vers les
gens. vers les musiciens que nous avons choisis.
Les compositions se sont faites à la maison ; ensemble, nous
avons sélectionné les musiciens en fonction de leur
sensualité, pour qu'ils apportent leur petite touche finale.
Pour cet album, nous avons réalisé toutes nos envies : les
arrangements de cordes, l'accordéon sur "La Ofrenda"
ou la guitare slide sur"L'heure frontière".
Philippe : Il n'y a pas d'envie cosmopolite. Nous ne sommes pas
là pour traduire la musique du monde. C'est vraiment une musique
de l'intérieur sans aucune influence marocaine ou de qui que ce
soit.
"Honky Tonk
dance"est-il un exercice de style ?
Pa : C'esi un peu péjoratif ; pour moi le plus beau compliment
qu'on puisse faire, c'est de ne pas étre capable de classifier
la musique qu'on compose. Nous n'avons jamais cherché à
appartenir à un courant : c'est pour ça qu'à l'intérieur d'un
même album, on peut se pennettre de faire des choses aussi
différentes que "La Ofrenda", "Six in the
morning" etc. Ne pas avoir une ligne en quelque sorte.
A ce propos est-ce pour
cela que vous avez une imagerie un peu "chien et loup"
? Des moments qui sont des transitions entre deux états...
Ph : On a les sens affûtés, un peu comme les relations de deux
amants après une nuit de veille quand le petit jour arrive : à
la fois confusion et lucidité, acuité des esprits et acidité.
C'est vrai qu'il y a une idée de transition, de transitoire qui
parcours l'album ; peut-être parce que Pascal(e) veut dire
"Passage" en Hébreu ! J'aime bien ces états ; ce sont
des moments pleins de promesses...
Dans "La
Ofrenda", tu dis "Entre sombra y luz "
Ph : Une grande caractéristique du bonhomme c'est qu'il est
constamment tiraillé entre deux extrêmes et qu'il a du mal à
trouver sa route.
Pa : En même temps, il y a un côté "affirmé". Ce
n'est pas une hésitation par rapport à la vie mais une
constatation ; même si certaines choses sont entre chien et
loup, il n'y a pas une peur mais un plaisir : c'est un affirmatif
et non pas un dubitatif.
Est-ce pour cela qu'on
retrouve une thématique des choses instantanées et éphémères
? Peut-on vivre d'instants ou d'instincts de butinage ?
Pa : C'est plutôt le souci de vivre le moment quand il se
présente. On vit dans une époque où on ne sait pas combien de
temps on va vivre, on ne sait pas qui va nous manger. Des amis à
nous ont disparu et c'est une chose qui nous a frappés de plein
fouet. C'est à la charnière de la fin de Marc Seberg et au
début de Philippe Pascale. Cela m'a donné l'envie d'être
consciente de chaque moment qui passe avec les gens autour de
nous et de savoir que, peut-être, ils ne reviendront pas. Ça a
l'air grave mais on ne peut plus avoir la méme insouciance et la
même inconcience. Ce n'est pas un "butinage", c'est
plutôt le contraire ; essayer d'agripper chaque chose qui peut
être un petit peu hors du commun. Essayer. non pas d'en jouir ce
qui est un mot un peu fort, mais de le vivre tout simplement. Ce
n'est pas. en ce qui me conceme. un constat de légèreté.
Ph : C'est vrai que les textes ont été écrits très vite. J'ai
joué beaucoup avec des collages, des accidents. Il y a des
petites phrases autonomes, un patchwork d'éléments simples,
parfois sans véritable direction.
Y a-t-il eu des
critères pour le partage des langues ? "Holding you "
est entièrement en anglais par exemple ?
Ph : J'ai commencé par écrire en anglais avec Marquis de Sade
et les premiers albums de Marc Seberg. Quand nous sommes partis
faire une tournée aux Etats-Unis, je me suis aperçu que
c'était assez dérisoire pour un groupe français de vouloir
s'exprimer en anglais. Il fallait donc absolument que je me
prouve que j'étais capable
d'écrire en français. Le problème ne s'est donc pas posé :
par exemple. "La lune" suggère quelque chose de
mysténeux, poétique, alors que "The moon" évoque
quelque chose de rond, de bien plein. "Cold blue sky"
s'appelait "Bleu-calypso" sur les maquettes. Il y a
dans "Sky...", un mouvement, un élan irrésistible,
une aspiration, un souffle et une sérénité que je ne trouvais
pas dans le mot "ciel".
"Indian song"
fait référence au film ou à la chanson ?
Ph : C'est uniquement une référence à Jeanne Moreau.
Pa : Un amour de chanson ! Un coup de coeur qui traînait déjà
depuis quelque temps.
Ph : Ce n'est pas ça qui va nous sortir du trip intello et
poétique, mais c'est comme ça !
Vous assumez ou vous
cultivez ?
Ph : Quoi que lu fasses. les gens ont une image de toi. Elle
pourrait être pire.
Pa : On assume tout ce qu'on a fait sur l'album ; maintenant,
personne ne maîtrise la réaction des gens. Ceci dit, je pense
qu'il n'y a aucun décalage entre ce qu'on est et ce qu'on fait.
Est-ce pour cela que
vous êtes beaucoup plus "impressionnistes " ?
Ph : C'est exactement dans cette optique que j'ai voulu écrire
les textes. Ce sont des touches, des mots sans rapports les uns
avec les autres, comme un polaroid ou une mosaïque de polaroïds
dont l'association et la superpositiun tentent à évoquer le
sentiment de l'instant présent. Des petits morceaux d'émotions,
parfois contradictoires, parfois complémentaires. A cet égard,
quand tu utilises une autre langue, cela modifie la manière de
ressentir la musique.
Dans "Honky Tonk
dance", il y a une coloration noire, assez sensuelle et en
même temps une diction très détachée...
Pa : Le contenu est pourtant très important. Je ne sais pas si
c'est pour cela qu'il y a cette distance, mais on trouvait que
par rapport au rythme du morceau, on avait l'envie de tout garder
en anglais. On arrive à véhiculer pas mal de choses bien que ce
ne soit pas notre langue maternelle. Philippe chante en anglais,
non pas pour se cacher, mais parce que cela colle bien à la
rythmique. En même temps, je suis très attachée à ce texte.
Sur tous les titres, je crois qu'il y a un côté évident et un
autre plus distant. Ce qui nous ramène aux musiciens qui ont
participé au disque : Paddy Steer à la contrebasse appartenait
à Yargo, ce groupe magnifique et tout à fait à part, avec ce
côté mi-soul, mi-on-ne-sait-trop-quoi...
Vous associez souvent
l'amour à la notion de danger...
Pa : Oui, mais "Honky.Tonk dance" est un morceau très
jouissif, justement parce qu'il a cette légèreté apparente et
qu'il a aussi une certaine pesanteur.
Dans "On the edge
", vous évoquez un hédonisme voluptueax, néanmoins vous
parlez égalelement de "morsure lente
et longue" ?
Ph : Tout est fait pour qu'on prenne "morsure" comme on
veut. Ce peut être une "mort sûre", une mort
assurée. Il y a le plaisir et il y a le danger car l'un sans
l'autre ne fonctionne pas. L'extension du "moi", c'est
l'amour et le revers, c'est la "pulsion de mort". C'est
quelque chose qui me poursuit depuis que je suis petit.
Le nom de :Sfarqais de
Sade était-il lié à cela ?
Ph : Je n'étais pas encore dans le groupe. A l'époque. ils
hésitaient entre les Rats d'égout et Marquis de Sade. La
première fois où j'ai vu une affiche de MDS, j'ai hurlé de
rire. C'était trop, nous étions plutôt arrogants et
désespérés.
Pa : C'est marrant car je trouve que les textes de Philippe n'ont
jamais été aussi sensuels que maintenant, et sa façon de
chanter aussi. Les compositions ont été faites autour de la
voix et l'on n'a pas, ici, cette voix qui essaye de surnager.
Comment s'est passée la
production ?
Pa : Nous avons décidé d'assumer cela de A à Z. Nous avons
choisi un ingénieur du son, Phil Délire, et par bonheur, il a
aimé les maquettes. Nous avons commencé l'album en avril et
nous l'avons fini en décembre. Quasiment la longueur d'une
gestation. On a coproduit avec Phil car nous étions restés sur
notre faim au niveau du mixage sur le dernier album de Marc
Seberg. Nous avons pris les devants en étant décisifs, au sens
strict, et présents tout le temps. Nous avons opté d'emblée
pour la carte "feeling" plutôt que pour l'option
"efficacité". Nous cherchions un son organique et des
gens qui puissent nous apporter de la finesse.
L'émission d'Arte,
était-ce votre idée ?
Pa : C'était la continuité de ce que Arte avait déjà fait
avec les Négresses Vertes. Arno ou Nina Hagen. Par
l'intermédiaire d'Alain Maneval, nous avons eu ce cadeau de
prés d'une heure dans laquelle nous pouvions faire absolument ce
que nous voulions, comme lorsque nous réalisons nos disques.
Ph : Cela nous a permis de faire de belles rencontres, en
particulier Charles Juliet, un écrivain que je vénère et qui
nous a beaucoup soutenus par ses écrits. Il a connu Beckett et
Camus et n'a été reconnu qu'à l'âge de cinquante-cinq ans. Il
a fait de sa vie intérieure, l'unique sujet de son oeuvre. c'est
incroyable ! Arte nous a trouvés des images insensées.
"Blank generation", qui est un film sur les débuts de
la scène new yorkaise que je rêvais de voir un jour à la
télé. On y aperçoit Richard Hell, Patti Smith et Tom Verlaine.
Vous ont-ils tous
influencés ?
Ph : Ce sont eux qui m'ont décidé à faire de la musique alors
que le punk anglais... Il a fallu attendre Magazine pour que
j'accroche à leur musique. Dans mon tout premier groupe, on ne
faisait que des reprises du Velvet et des Stooges.
Claude
Freilich
Copyright : Rock Sound, 1994