Octobre : aventure

Il a fallu du temps. Le rock français a eu mal. Mal au ventre, mal au cœur. Une espèce de nausée, à l'envers, due à l'absence. L'absence d'arguments, d'idées, d'implications, d'identités. On désespérait. Et tout à coup : Octobre, sorti tout droit des cendres encore chaudes du Marquis de Sade. Pas un fantôme, non, mais un groupe fort d'un passé prestigieux, d'une expérience éloquente, qui sonne le glas de la colonisation. Avec des idées, des arguments. En bataille. Et une identité. Quelque chose qui n'appartient qu'à eux, quelque chose qui ressemble à ce que le rock français doit être aujourd'hui pour exister, non seulement chez lui, mais sur une échelle internationale : ambitieux, compétitif, en prise avec son époque, ni en avance ni à la traîne des courants mais pile dans l'humeur du moment. Sans mimétisme.
Tout a commencé au début de l'année 1981. Plébiscité par l'ensemble de la presse, après deux albums, Marquis de Sade s'était imposé comme le groupe français de prestige. Frank Darcel, le guitariste, manigançait les musiques, Philippe Pascal, le chanteur, commettait les textes, tandis que Thierry Alexandre, le bassiste, et Eric Morinière, le batteur, assuraient une rythmique imperturbable. C'est à la suite d'un séjour new-yorkais que Frank Darcel exprime le désir de changer d'horizons, de s'ouvrir à des résonances plus diversifiées dans leurs échos et leurs tendances. Au terme d'une tournée en avril 1981, il provoque la séparation de Marquis de Sade. Quelques semaines plus tard, entouré de Morinière et Alexandre, Darcel fait appel à Eric Lanz, un chanteur parisien. Octobre est né. "Marquis de Sade fonctionnait en circuit fermé. Nous avions une approche trop théâtrale, trop empruntée de la musique. Ces erreurs ont du bon, Octobre saura les éviter par une attitude, une vision, plus décontractées, plus senties." Pourtant la notion de théâtre subsiste dans Octobre mais cette fois, comme ils le chantent, c'est peut-être les acteurs de leur vie.
Au mois de juillet, le groupe entre en studio à Rennes pour enregistrer les premières maquettes ; c'est au mois de novembre, comme de juste, que Pathé Marconi signe Octobre : le disque, "Next Year In Asia ", sort au mois de février 1982. "Finalement, nous n'avons pas perdu de temps, le disque d'Octobre sort un an après celui de Marquis de Sade. C'est un délai normal pour un groupe. "
"Next Year In Asia" inaugure, chez Pathé Marconi, la formule du mini 33 tours qui, pour un prix de vente moins élevé, évite le remplissage. Six morceaux seulement, mais six morceaux chargés, denses, sans temps morts. Trois titres en français, trois titres en anglais, une équation idéale qui se chante au présent et se conjugue au futur d'une démarche tournée vers l'étranger. Pour Eric Lanz, succéder à Philippe Pascal n'était pas une situation confortable. Il s'en tire avec tous les honneurs car, sans posséder la personnalité de son prédécesseur, il a le mérite de ne pas forcer la comparaison. La voix est belle, ample, puissante ; elle a de la profondeur et colle parfaitement à la musique d'Octobre. Une inspiration audacieuse, des compositions astucieuses, savamment construites, où l'on retrouve la guitare cinglante et inventive de Frank Darcel ainsi que la rythmique légèrement chaloupée et teintée de funk des deux inséparable, tel est le langage que tient Octobre, immédiatement identifiable et qui risque de faire parler son monde dans les prochains mois. Par-delà le lyrisme et la limpidité des mélodies, il y a enfin, dans les textes et la musique d'Octobre - qui refuse toute connotation avec la révolution du même nom - un esprit d'aventure que souligne le titre du disque "Next Year In Asia", et que confirme Frank Darcel : 'Nous voulons renouer avec le mythe du globetrotter qui a disparu depuis les années 50. En somme, pour Marquis de Sade, l'esthétique des ports était évocatrice d'une fin, pour Octobre, elle l'est d'un départ. "

AMÉLIE TRUFFAUT.


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