(photo : Joseph-Marie Hulewitcz)
Migrennes : Pourquoi Octobre ? Pour le mois ou pour la
révolution ?
Frank Darcel : Pour le mois, sauf que si la révolution est
arrivée au mois d'octobre, ce n'est peut-être pas un hasard.
J'ai l'impression que c'est un mois où peuvent se canaliser pas
mal de pressions sous-jacentes, bien pour ce genre d'explosions.
C'est à la fin de l'été et on ressent les choses d'une
manière spéciale. Chaque mois a sa spécificité et en octobre
peuvent s'exprimer pas mal de mouvements collectifs, on peut y
ressentir plus facilement des choses en commun. Il y a une
chanson dans l'album qui parle de ça, White days et qui a trait
à l'atmosphère que moi, je ressens en octobre. C'est peut-être
le texte le plus important du disque.
[...]
M : Tu n'as jamais été punk ?
FD : Mais si...mais punk à Rennes, à l'époque où ça a
démarré, ça ne voulait rien dire, en dehors de Rennes,
c'était super en plus ! De la rigolade ! On fréquentait le Tea
Shop sur les quais, en bas du Rialto, une boutique où il y avait
un genre de mélange pas possible, avec de la bouffe. C'était en
77 et Rennes a été branché relativement tôt par rapport au
reste de la France et avec un tel décalage ! En fait c'est de
là qu'est parti Marquis de Sade, sans ça, il n'y aurait rien eu
! On s'est bien éclaté tout de même. On faisait la première
partie de groupe anglais en niquant les mecs qui jouaient de la
guitare depuis dix ans et qui nous regardaient comme les
derniers. On a été une bonne purge.
M : Tout le monde à Rennes a l'air de sortir de cette
époque-là ?
FD : Ouais. Il y a vraiment eu une rencontre. Parce qu'avant le
mouvement punk, il y avait déjà une animation avec des gens
comme Pierre Fablet, la Croix Herpin, qui étaient quand même
assez ouverts, bien allumés. La première fois que j'ai vu
Pierre Fablet, il jouait de l'aspirateur en coinçant un
mélodica. Il jouait des heures comme ça. Alors, quand le punk
est arrivé là-dessus, tous ces gens-là se sont rencontrés. Il
a suffi de deux ou trois personnes du genre Hervé Bordier, Titi,
pour faire coller les gens ensemble, ceux comme Pierre, barrés
dans des trucs plus intellectuels et ceux comme Rocky, le premier
chanteur de MdS, plus directs, plus rocks, qui ne se seraient
jamais rencontrés autrement. Ces gens-là ont réussi à faire
des trucs ensembles, les premières parutions de Pierre datent de
cette époque-là et c'était bien. Tout ça a donné le Rennes
actuel. Après il y a eu le Drugstore, 78-79, c'était marrant.
Puis le carrefour, le point critique de tout mouvement, quand ça
freine après, parce que les gens prennent tout ça trop au
sérieux. Marginalisation maximale. J'aime pas ça, je ne m'y
sens pas à l'aise. Et l'Epée. J'ai déserté assez vite. J'y
allais surtout du temps du couple M et Mme l'Epée, les branlées
qu'ils se foutaient ! C'est pour ça que l'Epée était vraiment
un truc, une caricature quoi ! Maintenant, je serais incapable
d'y retourner. Après, je ne sais pas. Il faudrait faire une
étude sociale de tout ce qui s'est passé à Rennes, et c'est
marrant, parce que tout le monde se rejoint dans une espèce
d'accord pour dire que Rennes était une ville où il fallait
rester pour essayer de faire des trucs. Jusqu'aux gens qui ont
fait le Chatham, maintenant. Et s'il n'y avait pas eu tout ça à
Rennes, je ne sais pas si ces gens seraient restés là.
Maintenant, il y a une sorte de mélange où tout le monde est
d'accord pour dire que Rennes avec les nouveaux bars, les
nouveaux journaux, c'est bien. Il faudrait savoir si toutes les
villes de France suivent la même évolution, mais ça
m'étonnerait.
M : Marquis de Sade ne fait pas trop d'ombre sur la musique à
Rennes ?
FD : Dans chaque groupe rennais, il y a au moins un musicien de
MdS. C'est normal, on était une sorte de plaque tournante, sans
structure rigide...On va voir ce que ça va donner maintenant que
la plupart des groupes ont signés.
[...]
M : On entend dire, un peu comme une critique, que votre album
est très commercial ?
FD : Tant mieux. Maintenant on débouche sur une musique où l'on
voit les choses avec beaucoup plus de recul, et on n'a pas envie
de faire un groupe introspectif, dur...On ne peut plus faire la
même chose. Les gens se sont demandés pourquoi on avait
arrêté MdS "au moment où ça commençait à
marcher": ouais, mais nous, ça faisait quatre ans que ça
durait ! J'étais là depuis le début et je regrette juste qu'il
n'y ait pas eu l'album public, ç'aurait été le
meilleur...Maintenant, on espère déborder le public classique
de MdS : ses 15000 tours (vente de MdS, 1er album: 20000, 2ième:
30000, en six mois). C'est déjà fait puisque en deux mois nous
avons vendu 15000 disques, on espère encore élargir, mais à
partir du moment où tu sors du circuit branché tu touches un
circuit beaucoup plus large qui a besoin d'être sollicité, et
qui a besoin d'entendre plusieurs fois le disque à RTL,
plusieurs fois à Europe 1, qu'il te voie à la télé, etc. On
est bien promotionné et c'est Michel Estéban qui s'occupe de
nous. Ca prend du temps, et c'est bien que l'album soit sorti en
Février, pour pouvoir marcher cet été.
M : Pour revenir à Octobre, tu es venu comment à la musique ?
FD : A dix ans, j'ai fait ma première tentative. J'ai une
famille relativement musicienne, qui fait beaucoup de jazz, et je
m'étais mis à la guitare pour suivre le mouvement, et avoir des
heures de perm supplémentaires. Et puis, au bout d'un an je me
suis aperçu que ça ne me branchait pas trop. J'ai tout arrêté
pendant six ans. Je n'ai repris qu'en arrivant en fac à Rennes.
M : C'est toi qui écrit les chansons ?
FD : En partie. C'est très collectif comme démarche. Sur le
dernier, j'ai fait des bouts de trucs au piano, tu montres, puis
chacun amène son instrument, et au bout de deux ou trois heures,
tu commences à voir où tu en es. Après le chanteur place une
mélodie de voix avec des paroles en anglais ou en n'importe
quoi, on met tout sur cassette et après on revoit tout en
remplaçant les onomatopées par des paroles. C'est la formule la
plus classique, je crois que la plupart des gens procèdent comme
ça.
M : Tu as d'autres occupations, à part la musique ?
FD : Non. Octobre nous occupe beaucoup. Et puis, on a commencé
à répéter pour le prochain 33 tours de Daho et pour celui de
l'ancien chanteur de Private Jokes. On a aussi fait l'émission
de télé "Echos des bananes" qui passera le 16 mai. Et
on pense au prochain album. Je crois que ça parlera des villes,
d'une certaine manière, avec des titres comme
"Vénézuela", "Dans la ville", "Exil à
Chypre", "Nos amis d'Europe"...Cet été on va
promotionner l'album dans les clubs.
M : C'est plus facile de signer quand on est rennais et ex de MdS
?
FD : Non, je ne crois pas. Le tapage qu'il y a autour de la ville
est très spécifique, ça ne touche que certaines personnes. Je
ne sais pas si les maisons de disques y sont sensibles.
M : Alors, aucun vice en dehors de la musique ?
FD : Ah si, les cartes. J'adore jouer pour l'argent, je suis fan
de poker, de tarot, à seule condition qu'il y ait un
intéressement financier. En tournée, j'ai plumé tout Marquis
de Sade. Avec Herpin, on a joué des fois jusqu'à huit heures du
matin. Sorti de là, quand tu dors tu vois des cartes partout,
mais c'est super intéressant. Les cartes, les filles, mais c'est
pas un vice ça.
M : Ton genre de fille ?
FD : Généralement, je préfère les brunes aux cheveux longs.
Grande. C'est un peu classique. Mais il y a beaucoup de
dérogations. C'est facile d'avoir une dérogation...Le première
fois que j'ai vu Jacqueline Bisset à la télé, en 73, je me
suis dit que c'était tout à fait mon type de femme. Elle n'a
fait que de mauvais films sauf avec Truffaut où elle est
fantastique, c'est "La nuit américaine", elle y joue
le rôle d'une star. Julie Christie aussi, j'aime bien (Docteur
Jivago).
M : Tu flashes beaucoup sur les filles au cinéma ?
FD : Ouais, ouais, en général j'aime bien...C'est là qu'on
peut voir les plus belles filles. Je trouve qu'une fille belle,
c'est bien. Je suis capable d'aller voir un navet pour Jacqueline
Bisset.
M : Et l'armée ?
FD : Réformé. C'est normal. En plus, j'ai fait les trois jours
le lendemain du Chorus, alors c'était assez spécial. De toute
façon, il fallait vraiment que je sois réformé, sinon, je ne
pouvais pas partir en tournée. Qu'est-ce que j'aurais été
faire là-bas ?
M : Et le Dimanche, à part des interviews pour Migrennes,
qu'est-ce que tu fais ?
FD : Je vais chez mes parents, à la campagne, dans les Côtes du
Nord. C'est très joli et très calme (prononcer cââlm, avec
l'accent). Faut pas le dire. Surtout pas d'allusion à l'accent.
Déjà avec le dernier Actuel, ils m'ont bien mis dedans, pour le
branchement et la retransmission tel quel, sans les paroles, où
je ne parlais qu'avec des onomatopées...les glandes à chaque
fois !
Copyright : Migrennes, 1982 (Jacues Ars, c/o La Bernique Hurlante, Rennes)