Les pensées de Pascal
Interviewer Marc Seberg, le groupe, revient à poser des questions à Philippe Pascal et à Pascale Le Berre, respectivement chanteur et clavier. Depuis Marquis de Sade, référence quasi obligatoire dans la genèse de ce noyau dur du rock rennais, Marc Seberg à sa façon cahoteuse s'est imposé naturellement comme la voix majeure de la new wave française. Enfin, dans la lumière et sans trahir leur démarche, Philippe Pascal et les siens entament, avec un nouvel album et une nouvelle tournée, une sorte de nouvelle carrière.
Article : Arnaud Viviant.
L'attachée
de presse m'avait prévenu : On ne change pas une équipe qui gagne.
Pour toute interview, Philippe Pascal, beau comme un instituteur new wave, est
désormais accompagné de Pascale Le Berre, clavier de Marc Seberg.
Je crois avoir compris pourquoi. La stratégie commerciale Virgin commence
là, dans ces minimes associations, ces détails peaufinés
de promotion. Pascale Le Berre était plus spécialement chargée
de modérer dans ses propos Philippe Pascal, le junkie des mots. De le
remettre dans " le droit chemin " en le contredisant au besoin. Car,
chez Virgin, on aimerait bien que Marc Seberg échappe enfin à
cette image noirâtre qui lui colle à la peau depuis ses débuts
pour cause de descendance Marquis de Sade. Mieux : c'est le public " kids
" qui fait de n'importe quel trente de Cure ou de Simple Minds un disque
d'or avant sa sortie, qu'on voudrait bien récupérer pour le groupe
français. Well. Pourquoi pas ?
" Lumières et Trahisons " est un bon disque. Sans doute inécoutable
dans dix ans, mais qui achète encore des disques pour les écouter
dans dix ans ? Au reste, Jean-Luc Manet a très bien chroniqué
l'album dans le dernier Guitare & Claviers. Je veux dire par là qu'il
en a très bien parlé et que je ne vois rien à ajouter sinon,
peut-être, que Philippe Pascal n'a jamais aussi bien chanté. On
connaît sa voix : profonde, grave. Une voix de chant grégorien,
de plain-chant. Le chant grégorien est la seule soul que puisse légitimement
revendiquer notre vieux continent. C'est son gospel à lui, son blues.
Ian Curtis l'avait très bien compris. Philippe Pascal a toujours eu cette
voix-là mais, maintenant, il l'utilise à la perfection. Chaque
vers est intéressant et, dans les moments forts, les septièmes,
le début et la fin des ponts, les enchaînements, chaque syllabe
compte.
Arnaud
Viviant : Peut-on dire que " Lumières & Trahisons " se
situe dans la continuité du " Chant des Terres " ?
Pascale Le Berre : L'écart est sans doute moins grand qu'entre "
Le Chant des terres " et " Marc Seberg 83 ". Simplement, la personnalité
du groupe s'affirme davantage. Au niveau des textes comme des compositions.
C'est un album plus mûr.
Philippe Pascal : Mais maturité n'est pas synonyme de sénilité,
loin de là. Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir travaillé
différemment, mais le résultat me semble plus excitant que précédemment.
Plus spontané. Bien qu'on l'ait enregistré en cinq semaines, l'album
sonne assez live.
-
C'est effectivement la sensation que l'on a : celle d'un disque plus dynamique.
N'est-ce qu'un problème de son ?
P.L.B. Non, même si l'apport du studio, du producteur et du matériel
utilisé est évidemment important.
P.P. Les morceaux sont moins linéaires qu'à une époque.
Sans nous renier, il faut avouer que nous aimions, à une période,
les morceaux envoûtants. Là, d'un couplet l'autre, c'est bourré
d'événements : des guitares qui arrivent, d'autres qui partent,
différentes parties de synthé... La construction même des
morceaux est plus dynamique. Je n'irai pas jusqu'à dire " rentre-dedans
" mais...
-
Est-ce à dire que " Lumières & Trahisons " est plus
rock ?
P.L.B. C'est une question difficile. Sur " Le Chant des terres ",
certains morceaux étaient à mi-chemin. Là, avec "
Dans ses rêves ", " Insectes ", " L'Amour aux trousses
", " Fascination ", il n'y a plus d'ambiguïté.
-
Les tempos en tout cas sont plus rapides...
- Oui. Seules exceptions : " Décembre " et " Jeux de lumières
".
-
Vous parliez de travail différent...
P.P. La location d'un studio coûte cher. Donc, nos morceaux étaient
prêts. Ils étaient écrits depuis deux ans en fait ; nous
les avions enregistrés sur maquette avant le début de notre tournée
américaine. Et si nous n'avions cessé de les tester sur scène
lors de la tournée, ils n'avaient guère évolué en
deux ans. Ce n'est qu'en studio, durant ces cinq courtes semaines d'enregistrement,
qu'ils se sont subitement mis à bouger. En effet, comme Pascale travaillait
sur de nouveaux synthés, des sons et des mélodies sont spontanément
apparus, m'obligeant alors à changer certains vocaux, voire à
réécrire certaines paroles. C'est ainsi que je me suis surpris
à supprimer des phrases qui faisaient du sens, pour les remplacer par
d'autres moins signifiantes mais plus agréables à l'oreille. J'ai
enfin sacrifié le fond à la forme. Du coup, textes et musiques
se tiennent bien mieux que sur les albums précédents. Autrefois
- et c'est un reproche que je me fais - les paroles se suffisaient à
elles-mêmes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Elles ont besoin de la
musique pour exister.
-
Les nouveaux morceaux n'ont donc pas mûri à l'ombre de la tournée.
P.L.B. Non. Il n'y a pas eu d'influence musicale directe.
P.P. On se plaint en France d'être colonisé par la musique anglo-saxonne.
Les Français dit-on, copient les groupes anglais ou américains.
Mais aller en Amérique centrale remet un peu les choses en place. Les
groupes de là-bas en sont restés à Yes ou à Ange
d'il y a quinze ans. En concert, pour retenir le public, ils sont obligés
de jouer de grandes reprises américaines. Ça ne présente
aucun intérêt. Et je ne parle pas de la censure qui rend leurs
textes " révolutionnaires " systématiquement insipides.
-
En Amérique du nord, avez-vous rencontré des musiciens ?
- A Minneapolis, nous sommes allés à la soirée d'anniversaire
de Jesse Johnson, le clone de Prince. Géniale soirée. Tout était
rose. Les gens, la bouffe : tout rose. Sauf nous, les Français, tout
en noir. Hyper repérables, les Français !
- Revenons-en aux paroles. Tu emploies souvent le mot " terre " dans
tes textes. Que signifie-t-il exactement pour toi ?
- Oui, le mot " terre ". Le mot " mer " aussi. C'est comme
" lumières " et " trahisons ", une affaire d'opposés.
La terre, c'est le voyage, l'espace de la rencontre. La mer, c'est l'oubli,
le repos, le repli sur soi. C'est aussi, très banalement, ma mère.
Analyses toutes bêtes. J'ignore en réalité ce qui me pousse
à employer ces mots plus que d'autres.
-
Un ami m'a demandé si " Lumières & Trahisons " était
plus noir que le précédent. Je n'ai pas su lui répondre.
Et vous ?
P.L.B. Je ne crois pas, non.
P. P. Les textes sont plus noirs, si. J'ai toujours essayé d'être
sincère dans ce que j'écrivais. Le problème, c'est que
j'étais sincère depuis mon bureau et que je réinventais
un peu le monde. A la différence, ce sont des expériences vécues
que j'ai essayées de retranscrire dans " Lumières & Trahisons
". Au départ, j'en voulais la forme plus sereine, presque désabusée.
Après coup, je me suis aperçu que c'était plus noir que
je ne l'avais cru.
P,L,B. (contrariée). Plus noir, peut-être, que " Marc Seberg
83 " ?
P.P. (un peu sec). " Marc Seberg 83 ", c'est un autre problème.
P, L.B. (obstinée). Oui, mais quand tu lis les textes.
P.P. (sec). A l'époque, je pouvais tout livrer sans fausse pudeur.
P.L.B. (persévérante). D'accord. Mais on compare ou on ne compare
pas...
P.P. (vainqueur). Eh bien je compare ! Les textes de " Lumières
& Trahisons " sont plus noirs. Ce n'est peut-être pas commercial
ce que je dis là, mais...
P.L.B. (vaincue). Oh, je m'en fous ! (en direction de l'intervieweur) Enfin,
comme tu peux le voir, nous ne sommes pas toujours d'accord !
(Propos
recueillis par Arnaud Viviant)
Copyright : Guitares et claviers, 1987