Blah blah, n°7, mai 89

Monstre et monstre sacré


On cause souvent du nouveau rock français, de Rennes comme ville-phare en matière de rock hexagonal, mais certains oublient par mégarde les Marquis de Sade à qui il faut attribuer la paternité de la tendance qui a trouvé des successeurs. Justice semble faite avec la réédition de leur " Dantzig Twist " et " Rue de Siam " en double compact. Rendons à Sade ce qui est au marquis.
C'est en 1977 qu'a débuté la carrière du sadique Marquis pendant que Cure et Joy Division marquaient l'époque du sceau new-cold-wave. Pour une fois, la France était à l'heure avec ces enfants du Velvet, fans des Stranglers et pro-Television.
Leur musique se voulait à fleur des sens cérébrale et culturelle. C'est en 1979 que le Marquis de Sade inaugura les premières Transmusicales de Rennes, faisant succomber sous ses charmes pervers quelques personnalités telles qu'Alain Maneval… Ainsi arriva " Dantzig Twist ", leur premier lp, tombant juste à propos en cette fin des seventies, période déjà post-punk. La " Oï " génération allait bientôt délaisser épingles à nourrice et jeans délavés pour endosser une tenue plus stricte et sombre. On se souvient de " Conrad Veidt ", chanson introduite par un piano nommé Turboust (si, si, l'Envahisseur timide se trouvait déjà là), au saxo foireux et aux paroles austères et écorchées (" l'acide oxydant corrode le temps… Conrad Veidt dans… L'Europe désire l'euthanasie, pureté froide à Nagasaki "). Outre le nom de l'Arnold connu, les patronymes des deux leaders Frank Darcel (guitare) et Philippe Pascal (chant) porteront leur empreinte indélébile sur le mouvement musical perpétuel. Chacun continue maintenant de son côté ; Philippe Pascal officie toujours dans un Marc Seberg baudelairien tandis que Frank Darcel s'est vu monter Octobre, puis Senso, sans oublier de produire au passage notre star nationale Daho (quand Turboust pointe son nez, Daho n'est pas loin… et vice-versa). La réédition en compact de " Dantzig Twist " offre en plus deux perles rares que les fans se feront un plaisir de découvrir (si ce n'est encore fait) : une version originale de " Henry " et une inédite de " Die ".
Par la suite, le Marquis connaîtra alors la gloire… Fin 79, ils passent en " Chorus " chez un Antoine de Caunes pas encore speedé pour ensuite couvrir un numéro d'Actuel en 1980. L'album " Rue de Siam ", moins hermétique que le précédent, sera leur testament sans qu'ils le sachent encore. L'âme entière du groupe est restée gravée dans les titres du dernier disque. " Wanda's loving boy " rappelle leur influence Television, l'hommage à Lou Reed est inéluctablement rendu sous la forme d'une reprise de " White Light / White Heat ", b-side du single " Rythmique ". Côté new wave, " Back to Cruelty " et la basse sourde de " Iwo Jima Song " rappellent les Cure première période. Le morceau (de choix) " Cancer and Drugs " (" Cancer et drogues, dictez vos ordres ") semble être un instantané fatidique. Philippe Pascal et Frank Darcel s'engueulent à jamais… les membres du groupe, touchés, feront leurs adieux à l' " Espace ", boîte rennaise dans une dernière manifestation vicieuse signée Marquis de Sade.
Restent deux témoins vestiges de l'époque sadique, réunis maintenant en un coffret-trésor paré pour les années.

Gloomy Thomas.



Copyright : Blah Blah, 1989