Monstre et monstre sacré
On cause souvent du nouveau rock français, de Rennes comme ville-phare
en matière de rock hexagonal, mais certains oublient par mégarde
les Marquis de Sade à qui il faut attribuer la paternité de la
tendance qui a trouvé des successeurs. Justice semble faite avec la réédition
de leur " Dantzig Twist " et " Rue de Siam " en double compact.
Rendons à Sade ce qui est au marquis.
C'est en 1977 qu'a débuté la carrière du sadique Marquis
pendant que Cure et Joy Division marquaient l'époque du sceau new-cold-wave.
Pour une fois, la France était à l'heure avec ces enfants du Velvet,
fans des Stranglers et pro-Television.
Leur musique se voulait à fleur des sens cérébrale et culturelle.
C'est en 1979 que le Marquis de Sade inaugura les premières Transmusicales
de Rennes, faisant succomber sous ses charmes pervers quelques personnalités
telles qu'Alain Maneval
Ainsi arriva " Dantzig Twist ", leur
premier lp, tombant juste à propos en cette fin des seventies, période
déjà post-punk. La " Oï " génération
allait bientôt délaisser épingles à nourrice et jeans
délavés pour endosser une tenue plus stricte et sombre. On se
souvient de " Conrad Veidt ", chanson introduite par un piano nommé
Turboust (si, si, l'Envahisseur timide se trouvait déjà là),
au saxo foireux et aux paroles austères et écorchées ("
l'acide oxydant corrode le temps
Conrad Veidt dans
L'Europe désire
l'euthanasie, pureté froide à Nagasaki "). Outre le nom de
l'Arnold connu, les patronymes des deux leaders Frank Darcel (guitare) et Philippe
Pascal (chant) porteront leur empreinte indélébile sur le mouvement
musical perpétuel. Chacun continue maintenant de son côté
; Philippe Pascal officie toujours dans un Marc Seberg baudelairien tandis que
Frank Darcel s'est vu monter Octobre, puis Senso, sans oublier de produire au
passage notre star nationale Daho (quand Turboust pointe son nez, Daho n'est
pas loin
et vice-versa). La réédition en compact de "
Dantzig Twist " offre en plus deux perles rares que les fans se feront
un plaisir de découvrir (si ce n'est encore fait) : une version originale
de " Henry " et une inédite de " Die ".
Par la suite, le Marquis connaîtra alors la gloire
Fin 79, ils passent
en " Chorus " chez un Antoine de Caunes pas encore speedé pour
ensuite couvrir un numéro d'Actuel en 1980. L'album " Rue de Siam
", moins hermétique que le précédent, sera leur testament
sans qu'ils le sachent encore. L'âme entière du groupe est restée
gravée dans les titres du dernier disque. " Wanda's loving boy "
rappelle leur influence Television, l'hommage à Lou Reed est inéluctablement
rendu sous la forme d'une reprise de " White Light / White Heat ",
b-side du single " Rythmique ". Côté new wave, "
Back to Cruelty " et la basse sourde de " Iwo Jima Song " rappellent
les Cure première période. Le morceau (de choix) " Cancer
and Drugs " (" Cancer et drogues, dictez vos ordres ") semble
être un instantané fatidique. Philippe Pascal et Frank Darcel s'engueulent
à jamais
les membres du groupe, touchés, feront leurs adieux
à l' " Espace ", boîte rennaise dans une dernière
manifestation vicieuse signée Marquis de Sade.
Restent deux témoins vestiges de l'époque sadique, réunis
maintenant en un coffret-trésor paré pour les années.
Gloomy Thomas.